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Les chats du kibou
28 décembre 2007

les marins

     Alors qu'ils se chamaillaient parce que Starshine ne voulait pas se compromettre en grignotant un morceau dans une poubelle malodorante qui faisait de l'oeil à Casse Casse, ils croisèrent Natacha. 

     Casse Casse la connaissait depuis qu'elle était arrivée en France, seule avec sa volonté de fer de s'en sortir et sa dette encore plus solide. Elle avait peu à peu appris à maîtriser le français mais elle aimait lire des romans de Pouchkine à haute voix, en russe, à Casse Casse qui dégustait les accents de cette langue à laquelle il n'entendait mot. Elle était devenue une fille de petite vertu (une expression qu'elle trouvait très poétique malgré tout), mais vivait dans une petite chambre de bonne dans une rue un peu plus loin. Elle leur proposa de venir se réchauffer chez elle, ce qu'ils acceptèrent. Ce n'était pas la première fois que Casse Casse venait là et il se sentait bien dans cette petite pièce rose où chauffait un samovar. Ils ne burent pas de thé (ils prirent garde de ne pas vexer Natacha en ne montrant pas leur dégoût pour une telle boisson)mais ne purent s'empêcher de miauler pour réclamer du thon en boîte (le thon ça les rend dingues), qu'elle leur offrit volontiers en bavardant.

     Starshine remarqua la photo d'un militaire et Natacha leur parla de son fiancé qui n'avait pas encore pu venir avec elle avant d'avoir terminé son long service militaire. Un jour il la rejoindrait, il trouverait un travail honnête et ils pourraient vivre heureux ensemble. Peut- être même pourrait- elle continuer les études de droit qu'elle avait commencées en Russie pour devenir avocate comme elle en rêvait? En attendant, elle lui écrivait chaque jour, lui décrivait la ville, ses habitants, leurs habitudes. Elle mentait bien un peu en lui parlant de son travail car elle se disait vendeuse dans une petite boulangerie de son quartier, et elle racontait les clients fidèles, les collègues, les ennuis de santé du patissier ou les farces dque lui faisaient les enfants du patron. Elle se promit de lui décrire la visite de ses amis chats. D'ailleurs il lui semblait, après que les deux chats eurent terminé d'expliquer ce qu'ils cherchaient, que son Piotr avait un ami d'enfance qui était entré dans la marine. Elle demanderait s'ils étaient toujours en contact et s'il n'avait pas entendu parler du chat gris.   

Lorsqu'elle eut bu une quantité impressionnante de thé et que les chats eurent soigneusement léché leur assiette et nettoyé leurs moustaches, elle se proposa de les accompagner au port, ce qu'ils acceptèrent avec plaisir, bien qu'ils se devaient de montrer une retenue exemplaire, inhérente à leur condition de chat. Ils aimaient le bavardage incessant de Natacha et elle aimait certainement autant qu'eux arpenter le port, bien qu'ils n'étaient pas animés des mêmes motivations. Les pêcheurs connaissaient bien Natacha et elle les laissait flirter avec elle. Ils reconnurent aussi les deux chats et saluèrent Starshine qui fréquentait les soirées huppées sur certains yachts mais qui venait toujours les saluer en se tenant bien sage et patiente lorsqu'ils triaient le poisson frais. En revanche, ils se méfiaient de Casse Casse qui ne se gênait pas pour voler dès que l'occasion s'en présentait.

Starshine sauta sur le pont et s'assit sur un sac imperméable pour surveiller le filet qui s'enroulait.

"Alors Starshine", commença Jules, le propriétaire du bateau, tout en surveillant Casse Casse du coin de l'oeil,"on vient contrôler la pêche de cette nuit?"

Starshine se lécha une patte et répondit:

"non, Jules, on est en mission recommandée, on cherche un chat...

- Ah, en ce moment, on en voit traîner pas mal par ici, mais la plupart du temps, ils sont plutôt mal vus, ils ne savent plus très bien parler, n'articulent pas, on dirait des chiens, ils ne demandent pas poliment" il se tourna vers Casse Casse qui fit mine de ne pas prendre l'insulte pour lui. "A quoi il ressemble celui que tu cherches?"

- C'est un grand chat gris, il suit les bancs de poissons, tu ne l'as jamais pris à ton bord par hasard?

- Non, mais ça me dit quelque chose. Quelqu'un dans le port l'a déjà embarqué, mais ça fait longtemps, demande à Joe s'il s'en souvient". Jules se pencha vers elle et murmura malicieusement "ça le distraira, il s'ennuie parfois à faire semblant de réparer les filets derrière la cabine!".

Joe était un vieil ami de Jules. A terre, il était aussi inserviable qu'un poisson hors de l'eau, lent et empoté, en revanche, on aurait pu croire qu'il avait en tête un plan de toutes les mers. Il avait l'instinct des océans et pouvait prédire leur humeur tout comme s'ils lui parlait. Il savait même parfois trouver les poissons aussi sûrement qu'un radar et avait une fois détourné la route du bateau pour recueillir deux naufragés . C'est pourquoi Jules l'embauchait sur son bateau et tolérait qu'il ne serve à rien à quai. Effectivement, Starshine le trouva occupé à fumer, le regard sur la mer.

"Bonjour Joe, Jules m'a dit que tu connaissais peut- être un gars qui aurait emmené un grand chat gris en mer.

-Ah, Starshine, tu parles de ce chat cinglé de harengs? ça fait longtemps que je n'ai plus entendu parler de lui, à mon avis, il n'est plus de ce côté ci du globe depuis un moment". Starshine s'alarma. Il était pour elle hors de question de voyager sur un bateau de pêche, même si les avantages en matière de gastronomie étaient indéniables comparé à l'avion. C'est alors qu'elle prit conscience qu'elle devrait sûrement passer d'un continent à l'autre, et cette idée la fit frémir, car elle n'aimait pas tellement prendre l'avion, d'abord à cause du décalage horaire mais surtout du voyage en soute, dans une caisse, parmi d'autres animaux souvent effrayés et hurlant, ce qu'elle ne supportait pas. Elle avait même entendu des histoires d'horreur concernant des chats mis en quarantaine, mais elle se disait que c'était une légende urbaine, au même titre que les mentos dans le coca.

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