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Les chats du kibou
5 août 2010

Le Grand Chat Gris

     Elle avait besoin de me dire qu'elle n'avait plus envie de chercher ce vieux chat, étant donné tout ce que cela impliquait. Elle voulait juste rentrer à la maison, au chaud, manger du thon (ben tiens!) et reprendre sa petite vie. "Oui, mais... Mam'Lala? Que lui dirais tu?". Starshine ne répondit pas. Bien sûr. Elle ne pouvait pas avoir préparé de réponse. Je le savais bien, qu'ils ne rentreraient pas tout de suite.

     Et c'est ce qui se passa, ils voyagèrent, prirent l'avion... puis le bateau. Ils cherchèrent, fouillèrent toutes les poubelles des quartiers mal famés, ils interrogèrent tous les baroudeurs de Singapour, mais aussi les profs de plongée qui croisaient beaucoup de monde et qui avaient vent de nombreuses rumeurs (et qui les répandaient...), les gamins qui mendiaient sur le port, les propriétaires de gargotes. Mais c'était à croire que personne n'avait jamais entendu parler de lui. 

      Pourtant, il devait bien y avoir une personne qui savait: le journaliste qui avait écrit un papier qu'un gamin avait soigneusement consigné. Starshine et Casse Casse se rendirent à la rédaction et furent assez satisfaits de ce qu'ils y trouvèrent. Non pas que le journaliste qu'ils cherchaient s'y trouvait, mais l'ambiance ne pouvait que leur plaire: des papiers partout, des boîtes empilées, des meubles poussiéreux (ils me diront plus tard qu'ils se seraient cru à la maison, mais je ne comprends toujours pas le rapport). Casse Casse commençait à fouiller dans des tiroirs qui sentaient le vieux saucisson lorsque quelqu'un les reçut.   

      Il s'agissait d'un très vieil homme qui travaillait dans les bureaux du journal, traînant son balai derrière lui, voûté, les lunettes sur le bout du nez. Visiblement, il ne devait pas être très efficace pour balayer dans les coins (Casse Casse adorait grignoter les miettes de repas oubliées). Mais il savait parler l'anglais, et Starshine put entamer la conversation (impossible de demander à Casse Casse d'apprendre quoi que ce soit de scolaire, il dépendait donc entièrement d'elle)(sauf quand il s'agissait de parier dans les combats de coqs, allez comprendre comment il se débrouillait?)
     "Vous êtes des amis du Grand Chat Gris?" demanda le vieillard, "pas tout à fait, répondit Starshine, disons plutôt qu'une de nos amis chers le recherche, vous l'avez donc rencontré?" Le vieil homme tira la chaise de sous le bureau, il tira un paquet de tabac usé de sa poche, et roula habilement une cigarette qu'il alluma voluptueusement. L'odeur du tabac irrita les narines de Starshine qui n'en montra poliment pourtant rien.
- Oh cela fait si longtemps!" reprit- il en passant sa main sur le bureau comme pour en ôter la poussière.

"Il est resté ici quelque temps". Le vieux sourit, plissant davantage les yeux, ce qui accentua encore la multitude de rides qui se creusait au coin de ses yeux.

     "On se chamaillait beaucoup, lui et moi, il prenait tellement de place sur mon bureau, dès qu'un rayon de soleil frappait les journaux, il se roulait dedans, je me souviens qu'il sursautait quand ma machine à écrire sonnait à la fin d'une ligne, et qu'il éternuait quand je fumais..." Starshine ne l'interrompait pas, elle savait que le chat n'était plus là, qu'ils ne le retrouveraient pas ici et qu'ils devraient repartir, que leur but n'était toujours pas atteint; mais cela lui plaisait d'écouter la voix craquelée de ce vieil homme, et comprenait bien ce que le Grand Gris avait pu aimer chez lui. Elle ne parlait pas non plus, de crainte que l'homme ne perde le fil de ses souvenirs. "Et puis un jour, une petite chatte du quartier lui a proposé de s'installer avec lui, et à partir de ce moment, il est devenu beaucoup plus morose, il a eu le mal du pays. Alors  il a pris un bateau, il est reparti." Starshine ne posa pas de questions sur ce que cette jeune chatte était devenue (les chats sont assez peu compassionnels j'ai remarqué) et Casse Casse ne comprenait rien. Il était allongé sous le bureau, jouant avec une boulette de poussière (j'allais dire "comme à la maison", mais après, vous croiriez que je ne fais jamais le ménage).

     Le vieil homme les raccompagna à l'entrée du journal, en traînant ses pieds fatigués; et les chats revinrent à la maison, après avoir prévenu qu'il fallait remplir le frigo et acheter du pâté.

     Ils s'étalèrent dans le canapé, (en me réclamant une petite collation que je ferais mine d'oublier de préparer) après avoir poussé le gros Lucien qui ronflait sans regarder les résultats du loto. Et quand ils m'eurent tout raconté, Starshine soupira à l'idée d'aller voir Mam'Lala. Elle était fatiguée (le décalage horaire!) et posa son regard envieux sur Lucien qui bavait sur les coussins que je venais de laver (heureusement que j'ai la présence d'esprit de ne RIEN repasser par dessus le marché!)

     Et c'est là qu'elle vit le coussinet coupé en deux.

     Casse Casse, qui écoutait attentivement les pronostics de la prochaine course de Vincennes, sentit qu'il devait se passer quelque chose, puisqu'il se retourna. Il comprit aussitôt lorsqu'il vit enfin cette séquelle d'une bataille mémorable contre des mouettes, que personne n'avait jamais remarquée auparavant. Il faut dire, qu'on ne le voyait pas beaucoup marcher Lucien, et il était tellement gras qu'on n'avait jamais vu qu'il boitait!

     Starshine et Casse Casse se regardèrent et une même question se lut dans leurs yeux:

     "Mais qu'est- ce qu'on va bien pouvoir raconter à Mam'Lala?"

    

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